Dès la première écoute, je fus complètement
retourné. Piétiné. Réduit à néant. Lorsque la platine s’arrêta, je me retrouvai
presque hagard, dans un silence insupportable qui ne rendait que plus réel ce
qui venait de se passer. Tel fut le puissant impact de ce Ursus Americanus,
découvert par hasard lors de quelques errances cybernétiques.
C’est en creusant un peu plus que je me suis rendu
compte que le type aux manettes de « Author & Punisher », Tristan
Shone, est un génie. Mais le genre de génie un peu barré, fou même. Une sorte
d’autiste qui baigne dans son univers bien à lui, au point d’inventer ses
propres ustensiles pour faire du bruit. Un peu comme si une victime fabriquait
ses propres engins de tortures. C’est d’ailleurs ce que l’on peut observer sur
la pochette, qui de prime abord est un peu énigmatique : des machines
bizarres, que le sieur manipule on ne sait vraiment comment. Le plus incroyable
dans tout ça est qu’à l’écoute de l’album, la pertinence de ces créations
étranges est évidente. La cohérence et la force du propos nous éloigne
d’ailleurs de l’aspect « expérimentale » en son versant négatif,
c'est-à-dire tout ce qui constitue des tentatives de se rendre intéressant par
des moyens farfelus sans qu’il n’y ait de réelle démarche et/ou de résultat.
Avec Author & Punisher, on est au contraire dans quelque chose de totalisant,
la démarche s’appréhendant dans sa globalité, de la création des machines au
contenu même de la musique.
Côté référence, on oscille entre différents genres
musicaux susceptibles d’offrir ce qu’il y a de plus horrible. En vrac, on croit
entendre de l’indus, de la noise, du doom, du trip-hop, du « freak
dub », le tout forniquant joyeusement ensemble dans une partouse impie.
Mais si cette musique est aussi intense, c’est bien parce qu’elle ne se
rattache jamais à l’un ou l’autre des genres cités, elle se nourrit de tous
certes, mais reste tout à fait unique, à tel point qu’il est parfois difficile
de savoir exactement à quoi on a affaire. N’est-ce pas là que se situe justement
la création ?
Ursus Americanus est une œuvre tortueuse et
fondamentalement douloureuse, elle est archaïque et flirt sans scrupule avec
les tréfonds de la folie mentale. Les compositions sont extrêmement froides,
sans mélodie, sans rien à quoi se raccrocher ; elles fondent sur
l’auditeur avec fracas, lui triturant la cervelle et jouant avec ses nerfs avec
une satisfaction quasi morbide. Chaque « son » est parfaitement
atroce, quasi insupportable, y compris ces voix électriques et ravagées hurlant
comme des damnées en proies aux pires tourments. Même les parties plus posées
sont inquiétantes et sans espoir.
L’œuvre pourra paraître difficilement abordable,
elle n’en reste pas moins extrêmement efficace. Sans fioriture, du brut de
décoffrage, du directe dans ta face, tellement crade et dangereux que tu ne
peux qu’y revenir.
Quelques vidéos pour vous donner une idée :
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